Coralie Dardeau : grandir et voyager…

© Photo : Muriel Meynard
© Photo : Muriel Meynard

De ma petite enfance à l’âge adulte, j’ai connu une vie de voyage. J’ai vécu sur trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique. J’en garde de merveilleux souvenirs et je me sens privilégiée d’avoir pu suivre ce chemin. Les voyages et les différentes cultures que j’ai rencontrées m’ont sans aucun doute ouvert l’esprit, influencée et façonnée dans ma vie personnelle et professionnelle.

Mon père est ingénieur de forage, retraité de l’industrie pétrolière, chez Elf puis chez Total – quand le deuxième groupe a racheté le premier. Du temps qu’il exerçait, mon père a choisi des missions en tant qu’expatrié aux quatre coins du monde. En 1984, mes parents vivent aux Pays-Bas, à La Haye, ville qui m’a vu naître ; deux ans plus tard, nous y accueillons ma petite sœur qui arrive à son tour. J’ai commencé à parler aux Pays-Bas… D’après mes parents, je disais Danke (merci en néerlandais) à tout le monde… de nos jours, je ne parle pourtant pas un mot de néerlandais !

Âgée de trois ans et sans aucun souvenir du fait de mon jeune âge, nous quittons les Pays-Bas pour Bali, en Indonésie, sur le continent asiatique. Petit à petit je commence à « fabriquer » des souvenirs. L’île est paradisiaque, je profite du beau temps, de la piscine et de la plage où je vais à l’école. Nous habitons un compound, quartier résidentiel sécurisé – mais ouvert –, et nos voisins ont un orang-outan avec lequel je m’entends très bien ! Pour faire vivre l’économie locale, les expatriés, qui gagnent immensément plus que les locaux, sont tenus d’employer du personnel de maison. Suti s’occupe de la cuisine, alors que Suparmi nous garde (ma sœur et moi) et entretient le logis (linge et ménage). La demeure, fort agréable, est pourvue d’une grande terrasse couverte où j’aime à me prélasser, sur laquelle trônent de vastes et majestueuses chaises en osier. Ma mère, qui s’ennuie dans la maison, réussit à intégrer la cuisine quand Suti ne la chasse pas. Elle a d’ailleurs ramené d’Asie la recette du bami goreng (plat à base de nouilles), préparation dans laquelle elle excelle, si bien qu’à chaque anniversaire, ma sœur et moi avons droit à notre bami goreng préparé par maman !

L’aventure balinaise touche à sa fin alors que j’ai bientôt six ans. Je fais mon cours préparatoire, mon cours élémentaire 1 et le début de mon cours élémentaire 2 à Morlaàs, près de Pau, en France. C’est alors que mon père accepte une nouvelle mission au Nigéria : l’aventure africaine débute !

À Port Harcourt (Nigéria), les habits des gens regorgent de soleil. La terre est rouge ; la végétation, luxuriante ; les becs de perroquet (fleurs originaires d’Afrique), étincelants ; les couleurs vives, omniprésentes. C’est une explosion de couleurs, y compris dans l’art africain qui me fascine, à l’image de la décoration de ma chambre ! Subjuguée par cette culture, je me vêts également de soleil, mes habits sont chamarrés par le batik (procédé artisanal d’impression des étoffes qui a recours à la cire pour décorer le tissu).
Le Nigéria est un pays très dangereux ; nous ne nous déplaçons qu’en présence de notre chauffeur, Sundae, et la maison est gardée de jour comme de nuit par trois gardes. Mais je suis tellement heureuse que je ne ressens pas ce climat hostile. Dans la maison, c’est un adorable couple de Béninois, Angèle et Sulpice, qui occupe l’espace. Sulpice, le cuisinier, un bon p’tit gars rondouillard, prépare des plats riches et goutus dans lesquels le beurre est l’élément central ! Il enseigne d’ailleurs beaucoup de recettes à ma mère. Sa femme, Angèle, notre nanny (nounou en français) – et femme de ménage – s’occupe souvent de nous, nos parents étant régulièrement de sortie. Angèle est une dame joviale qui rit beaucoup. Elle nous enseigne l’art de la coiffure africaine et nous sommes ébahies par ses magnifiques pagnes colorés qu’elle parvient à faire tenir sur son corps sans aucune attache !
Un jour, alors que nous étions dans la voiture avec Sundae, ma sœur et moi avons entendu les chansons de Dorothée. D’abord stupéfaites, nous avons questionné celui qui veillait sur nous ; il nous a confié être fan de Dorothée… Un été, de retour de notre visite annuelle en France, nous lui avons offert la compilation de Dorothée ; Sundae était aux anges… Un chauffeur africain – qui joue le rôle de garde du corps – fan de Dorothée, ça ne s’invente pas !

À l’été 1998, alors que je finis ma classe de 5e, nous rentrons en France, à Morlaàs. Quitter Angèle et Sulpice (avec qui perdure le contact de nos jours) s’avère douloureux tant nous avons tissé des liens.
J’ai beau avoir la nationalité française, ma culture intérieure est en grande partie Africaine ; la rentrée scolaire à venir s’annonce difficile. « Mamadou » : c’est ainsi qu’on me surnomme à cause de mes vêtements typiquement africains, des boubous et autres tenues bouffantes et colorées. Je découvre le dictat de la mode et la jungle des collèges. Je finis donc par me mettre à la page en portant des jeans… Mais l’esprit de la France ne me sied pas, il en est de même pour ma sœur. Avant la fin de l’année, mon père accepte alors une nouvelle mission ; moins de 6 mois après cette courte escale en France, nous arrivons au Gabon.
Nous vivons sur la côte, à Port-Gentil. Je rentre en plein cœur de l’adolescence, je me sens libre et je passe mon temps à la plage sur la baie avec les copains, où activités nautiques, plongée et baignade comptent parmi nos loisirs favoris ! Je suis heureuse ! C’est aussi une Angèle qui devient notre nanny au Gabon. Elle est très différente de notre Angèle du Nigéria ! Mais comment concurrencer cette charismatique femme béninoise qui nous a tant servi de repère ?

À l’aube de mes dix-sept ans, nous sommes à nouveau de retour en France, à Morlaàs, afin que j’y réalise mon année de terminale : tel est le choix de nos parents, de façon à ce que nous puissions avoir un large choix dans nos études secondaires. Le choc vestimentaire, avec mon look « basico-nature », se fait ressentir une nouvelle fois. Mais ce n’est pas tout… on s’aperçoit que j’ai de grosses lacunes au niveau scolaire, l’enseignement de l’école publique gabonaise étant visiblement un peu léger… j’en ai bouffé des mercredis après-midi et des samedis sur des cours de mathématiques, physique et chimie en soutien scolaire ! Le choc est tellement grand que je suis même prise en charge pour cause de dépression…

Au début, mon enfance et les lointaines contrées dans lesquelles j’ai grandi m’ont manqué. Puis j’ai pris du recul sur ma belle enfance : j’en garde de merveilleux souvenirs et je me sens privilégiée d’avoir pu suivre ce chemin. Cela a contribué à mon ouverture d’esprit.
Je reste persuadée que mon enfance si spéciale a joué un rôle dans mon choix de carrière : amoureuse des couleurs, rencontrées sur ma route dès mon plus jeune âge en Indonésie et en Afrique, et influencée par les peintures et les dessins de mes parents, je conçois aujourd’hui des contenus et visuels digitaux pour le web.

De son côté, mon père, aux côtés de ma mère, a continué sa carrière au Congo, au Cameroun puis aux Etats-Unis (Houston) avant de rentrer définitivement à Morlaàs, en France. De son bureau, qui arbore des objets et autres singularités (arc, flèche, etc.) de ses voyages – y compris passés, tel l’Amazonie avant ma naissance –, se dégagent des airs de trésor d’aventurier !


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